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L'Actualité spirituelle et Hindoue | |||||||
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9/9
On a donc, à travers les justifications théoriques de Castaneda, et plus encore tout au long des échecs de Carlos pour comprendre vraiment le monde des sorciers yaquis, une critique permanente et trés garfinkelienne de la sociologie classique, d'où il ressort que seule l'approche ethnométhodologique peut résoudre cette contradiction interne à la sociologie. On
peut toutefois penser que Castaneda transforme quelque peu la réalité
lorsqu'il se présente comme un étudiant classique de la sociologie,
contraint par la réalité du terrain de changer de méthode et donc
d'adopter "spontanément" la démarche ethnométhodologique,
alors qu'il était étudiant de Garfinkel et même de Meighan, qui l'avait
initié au chamanisme.
En
allant plus loin , en posant sur le récit de Carlos la grille d'une
lecture ethnométhodologique, on est frappé par le fait que Don Juan met
en oeuvre, à la fois dans ses actes et ses enseignements, tous les
concepts de Garfinkel, et que les progrès de Carlos sont directement liés
à l'application ou à la réalisation d'un des concepts centraux de l'ethnométhodologie.
On
est d'abord frappé par l'importance de l'indexicalité dans ce qui
justifie la démarche de Carlos. La conviction qu'il existe des réseaux
de sens liés à une cohésion sociale interne apparaît dès l'herbe
du diable : "la règle était corroborée par un consensus particulier"
(p. 284). Tous
les allants de soi, expressions indexicales et ethnométhodes sont présents
très précisément en ce qu'ils marquent la coupure entre le sociologue
et la forme sociale étudiée. D'où les multiples exemples d'échecs de
Carlos, "jusqu'à se rouler par terre". Il ne s'agit pas de mépris,
puisque précisément Don Juan a choisi Carlos pour en faire un
"homme de connaissance", mais de scansion de l'importance décisive
de l'indexicalité. C'est pourquoi, à partir d'histoires de pouvoir, où
Carlos passe de l'autre côté de la barrière sociale, le ton va complètement
changer, et le point de vue extérieur, non-indexical et donc critique,
faire place à un récit sur le mode de l'évidence, c'est-à-dire ayant
intériorisé les allants-de-soi. La déconstruction de la sociologie passe aussi par la reconnaissance de la compétence unique (unique adequacy). La compréhension du sociologue n'est d'aucun apport en face du "savant de l'intérieur", et échoue à appréhender le sens : "Tu comprends que Don Genaro était derrière toi. Bien que dans ce cas, comprendre ne soit pas le point crucial" (Voir, p. 331). D'où un grand nombre de "ratages d'interprétation" de la part de Carlos (comme l'épisode des enfants déshérités ; Voir, p. 34), et une remise en cause des certitudes rationalistes, qui ne sont qu'un faux savoir (thème ethnométhodologique classique) : " Pour un sorcier la réalité, c'est-à-dire le monde tel que nous ne connaissons, n'est qu'une description" (Ixtlan, p. 9).
La
parole de Don Juan est redoutablement efficace, mais il faut franchir la
barrière de la forme sociale pour en saisir la portée. Faute de quoi on
en reste à la magie banale,
comme quand Carlos se fait subtiliser sa voiture sous ses yeux par le seul
pouvoir de Don Genaro. D'où également le souci de l'authenticité de la
relation, telle que Don Juan l'organise, en ethnométhodologue spontané :
" il me faisait raconter mon experience jusque dans les moindres détail"
( Herbe du diable, p. 291 ), et c'est bien le sens de l'ensemble
des récits de Carlos : " Ces notes décrivent la version subjective
de mes épreuves telles que je les ai senties, éprouvées. Elles sont
reportées exactement comme je les narrais à Don Juan qui exigeait le
souvenir précis et loyal de tous les détails, ainsi qu'une relation
complète de chaque expérience" (ibid., p. 25). La
démarche essentielle consiste d'abord à devenir membre. Comme il
est dit dans l'Analyse structurale, (l'herbe du diable), il
s'agit d'un combat permanent, car il faut se débarrasser des réflexes du
sociologue. L'enfant de la tribu est "membre-adhérent" (Ixtlan
p. 9) alors que l'étranger ne peut devenir membre qu'en acquérant
l'indexicalité du groupe, au risque de perdre totalement son regard
distanciateur et critique, comme on le voit très exactement à partir du Second
anneau de pouvoir, et de plus en plus jusqu'au Feu du dedans, où plus
aucune imvraisemblance ne pose problème. Il
n'apparait donc pas discutable que la référence fondamentale de
Castaneda est bien Garfinkel. L'histoire de Don Juan se présente comme
une vérification clinique des thèses de l'ethnométhodologie : "Le
sujet de l'ethnométhodologie, c'est l'étude de l'organisation du savoir
d'un membre, de ses affaire quotidiennes, de ses propres activités
organisées, lorsque nous considérons le savoir comme faisant partie du
cadre même qui le rend organisable" (Garfinkel, 1985). Ce qui est
terme à terme la démarche de Carlos par rapport à Don Juan. On
pourrait donc prétendre que l'oeuvre de Castaneda est une illustration
exemplaire de la démarche ethnométhodologique. A
deux détails prés : a)
D'une part, il convient de distinguer, dans l'oeuvre de Castaneda, la
dimension garfinkelienne, et tout ce qui est lié aux hallucinogènes, à
la transe. S'agit-il
seulement d'une approche critique par rapport à la sociologie classique,
et très proche de la problématique de l'implication, ou d'une méthodologie
du voyage spécifiquement adéquate à l'étude des états altérés de
conscience ? En un mot, pourrait-on parler d'une ethnométhodologie
"froide", qui serait une nouvelle tendance de la sociologie en
face d'une ethnométhodologie "chaude", qui s'intéresserait aux
niveaux différents de conscience ? En ce sens, le rapprochement avec
Artaud, dont c'est un bien étrange hasard qu'il soit venu faire des
reportages aux endroits même où se situent les "aventures" de
Castaneda chez "les peuples du peyolt", ou avec Rimbaud (le dérèglement
systématique de tous les sens), ouvrirait des horizons passionnants. Et même
la référence, souvent reprise par l'ethnométhodologie, à la
philosophie de Sartre, prendrait un éclairage radicalement nouveau, dans
la mesure où lui aussi a mené à la fois la construction d'une théorie
du sujet et la plongée dans un autre niveau de la réalité à l'aide de
psychotropes. La liberté passe par la déconstruction de la philosophie
classique et par l'atteinte d'autres niveaux de réalité... b)
D'autre part, la question de la véracité du texte castanédien demeure
posée. Si Castaneda, comme l'affirme De Mille, n'est qu'un gigantesque
mystificateur, la dimension d'application ethnométhodologique sur le
terrain s'en trouve singulièrement remise en cause, comme il semble que
Garfinkel lui-même l'ait reconnu récemment. Sans doute l'édifice ne s'écroule-t-il
pas totalement, car il s'agit alors de penser l'interrogation castanédienne
non au crible de la réalité, mais de l'effet de sens qu'il provoque. Néanmoins
l'ensemble du courant ethnométhodologique ne peut faire l'impasse sur
cette lancinante question. Mais cela est une autre histoire... M.
LAMINE - 1999
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